C’est une promesse de campagne dont beaucoup ont cru qu’elle n’avait pas vocation à être appliquée. Mais Nir Barkat, le maire de Jérusalem, qui s’est engagé à implanter un téléphérique dans le cœur historique de sa ville, semble résolu à aller de l’avant malgré les polémiques qu’il ne manquera pas de soulever.
En toute discrétion, il a chargé l’entreprise française Safege - filiale de Suez - de réaliser une étude « d’avant-projet détaillé ». L’itinéraire du futur réseau, qui reliera l’ancienne gare ottomane au mont des Oliviers, en passant non loin du mur des Lamentations et de la mosquée al-Aqsa, a été validé par la municipalité et le ministère des Transports.
Si le chantier est mené à bien, une dizaine de pylônes s’élèveront à terme à travers Jérusalem-Est. Selon plusieurs sources informées, le projet doit être dévoilé dans les prochaines semaines et les premiers coups de pioche seraient espérés en 2016.
Ce vieux rêve, maintes fois remisé en raison de son caractère controversé, vise officiellement à désengorger les abords de l’esplanade du mur des Lamentations et du mont des Oliviers, qu’une noria d’autocars obstrue à longueur d’année. Dans un argumentaire rédigé il y a quelques mois, Safege indiquait : « À travers sa demande d’étude, la Ville de Jérusalem souhaite résoudre le problème de l’accessibilité d’un site qui reçoit plus de 10 millions de visiteurs chaque année et réduire la pollution aux abords de la Vieille Ville grâce à la mise en place d’un système de transport public innovant. »
La solution proposée est décrite par les experts comme « écologique et peu coûteuse ». Au passage, le bureau d’études souligne que cette technologie est parfaitement maîtrisée par la société française Poma, « leader mondial du transport par câble ». « Nous sommes très intéressés par le projet et ferons en sorte d’être prêts lorsqu’il arrivera en phase de concours », explique Christian Bouvier, vice-président de Poma, qui évalue le temps d’installation du système entre dix et dix-huit mois et son coût entre 5 et 10 millions d’euros par kilomètre.
Les visites reçues ces derniers mois par les frères assomptionnistes de Saint-Pierre-en-Gallicante semblent confirmer que ce projet n’est plus seulement un doux rêve d’urbaniste. Au cœur de l’été 2014, les religieux ont appris que les plans élaborés par Safege prévoyaient d’installer l’un des pylônes sur l’emprise de leur congrégation, qui surplombe le quartier palestinien de Silwan. « Le 24 décembre dernier, plusieurs agents travaillant pour le service écologie de la municipalité se sont de nouveau présentés chez eux afin de marquer plusieurs arbres, comme si leur abattage était déjà décidé », raconte un proche de la communauté, qui ne cache pas son inquiétude.
Car le projet, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a pas que des partisans. Daniel Seidemann, avocat et militant associatif, l’assimile à « un crime contre Jérusalem ». « Le maire se trompe lourdement s’il croit qu’il va le faire passer comme une lettre à la poste, prévient-il. Dès qu’il l’aura officiellement présenté, il va faire face à un front uni associant Palestiniens, protecteurs jordaniens des lieux saints musulmans, Vatican, Unesco et défenseurs israéliens de l’environnement. » L’architecte Yonathan Mizrachi, responsable de l’ONG Emek Shaveh, souligne pour sa part que « ce chantier repose sur des arrière-pensées essentiellement politiques ». « Au-delà de sa justification officielle, il s’agit surtout d’inscrire un peu plus dans les faits l’occupation israélienne de Jérusalem-Est, ajoute-t-il. Et d’y désenclaver certains îlots de colonisation juive, notamment dans le quartier palestinien de Silwan. »
Dans leur dernier rapport consacré à Jérusalem, les chefs des missions diplomatiques européennes mettent aussi en garde contre ce projet et redoutent qu’il n’apporte une contribution décisive à l’« unification » de la ville - dont la partie orientale est occupée depuis 1967 par Israël sans que la communauté internationale ait jamais reconnu cet état de fait.
En juin dernier, par ailleurs, le Quai d’Orsay a diffusé une mise en garde sur les risques juridiques encourus par les entreprises françaises qui participeraient à des projets israéliens dans les Territoires occupés. En 2007, les entreprises Alstom et Veolia furent poursuivies devant les tribunaux français en raison de leur participation à la construction et à l’exploitation du tramway de Jérusalem, qui circule en partie à l’est de la ligne verte et dessert plusieurs quartiers de colonisation. Les plaintes n’ont jamais abouti, mais ces sociétés ont depuis été la cible de mises en cause récurrentes émanant de diverses organisations propalestiniennes.